Depuis plus de 10 ans, j’exerce comme TDS en Belgique. J’ai vu les pratiques évoluer, les annonces passer des magazines à Internet, et le milieu s’adapter à de nombreux défis. Pourtant, malgré les promesses de la réforme, la situation des travailleuses du sexe reste marquée par l’insécurité et l’exploitation.
Aujourd’hui, les TDS belges qui sont en règle doivent souvent recevoir chez elles, dans des Airbnbs, ou des hôtels. Celles qui ne remplissent pas toutes les conditions administratives deviennent encore plus vulnérables face à des exploitants ou des loueurs abusifs, travaillant souvent dans des logements précaires et à des prix exorbitants. Comme l’indique le rapport Myria, certaines TDS sont contraintes de louer des chambres à des prix jusqu’à trois fois supérieurs au marché. Ces logements, souvent aménagés de manière rudimentaire, ne garantissent ni sécurité ni dignité.
Une annonce prématurée et un cadre flou
De mon point de vue, le gouvernement a annoncé cette réforme trois ans avant sa mise en application, sans prévoir de cadre clair ni de ressources suffisantes pour l’encadrer. Cela a créé un appel d’air pour les réseaux criminels et personnes peu scrupuleuses, qui ont profité de l’absence de coordination entre les lois et leur mise en œuvre. Les proxénètes et autres acteurs du crime organisé se sont rapidement implantés, exacerbant les abus au lieu de les réduire.
C'est un problème courant dans les réformes mal préparées : une annonce anticipée sans cadre clair peut donner lieu à des abus avant même l'entrée en vigueur des lois. Une coordination plus stricte entre les réformes législatives et l’application sur le terrain (justice et police) aurait pu prévenir cela. C'est une erreur stratégique majeure. Les réformes de cette ampleur doivent être accompagnées d'un encadrement immédiat et robuste, comprenant des ressources accrues pour la justice, des moyens pour la police, et une communication claire auprès des parties prenantes (y compris les travailleuses du sexe elles-mêmes). Sans ces éléments, la réforme est devenue une opportunité pour les abus.
Aujourd’hui, la Belgique, avec sa justice au bord de la faillite et son manque criant d’effectifs dans la police, peine à contrôler cette situation. Les travailleuses du sexe sont les premières victimes de cette gestion chaotique, incapables de se défendre contre les exploitants qui leur extorquent une grande partie de leurs revenus.
Associations : un soutien limité et pas toujours aligné
Certaines associations peinent à répondre aux attentes des TDS, malgré des moyens significatifs. Une meilleure coordination et un recentrage sur les priorités des TDS seraient nécessaires. Par exemple, la promotion de thématiques marginales comme l’urologie sous couvert d’expression artistique, suscite chez moi de l’incompréhension. Pendant ce temps, les problèmes cruciaux – l’exploitation, la discrimination et le crime organisé – restent parfois ignorés.
D’autres initiatives sont mieux perçues, mais globalement, les associations ne répondent pas pleinement aux attentes des TDS. Aujourd'hui, personnellement, si vous êtes TDS et que vous rencontrez des problémes, l'association ICAR est la plus efficaces que j'ai rencontré.
Des lieux de travail insuffisants et inadaptés
Trouver un espace de travail sécurisé et adapté reste un défi majeur. Les TDS doivent souvent choisir entre travailler à domicile, au risque d’entraîner des conflits avec leurs voisins ou d’être harcelées, ou louer un local, ce qui présente d’autres complications. Les propriétaires sont réticents à louer leurs biens à des TDS, par peur d’augmenter leur revenu cadastral ( et oui, c'est une activité commercial) ou d’être stigmatisés. Ceux qui acceptent demandent souvent des dessous de table prohibitifs.
Personnellement, j’ai été confrontée à ces abus. Comme l’indique le rapport Myria, certaines TDS sont contraintes de louer des chambres à des prix jusqu’à trois fois supérieurs au marché. Ces logements, souvent aménagés de manière rudimentaire, ne garantissent ni sécurité ni dignité. Les solutions adaptées, comme les Eros Centers promis par les autorités locales, n’ont toujours pas vu le jour.
Un statut d’employé inexistant
La réforme prévoyait la possibilité pour les TDS d’être salariées. En pratique, ce statut reste inexistant, car peu d’employeurs souhaitent assumer les contraintes administratives liées à cette activité. Aujourd'hui, il est bien plus facile pour les exploitant de louer une chambre au TDS avec un contrat de location précaire en les obligeant à prendre le statut d'indépendant. Créer un statut hybride, adapté aux spécificités du travail du sexe, aurait été une solution bien plus efficace.
Pourquoi ne pas collaborer avec la police ?
Malgré les problèmes liés au crime organisé et à l’exploitation, collaborer avec la police est souvent perçu comme une option inefficace et risquée pour les TDS. Plusieurs raisons expliquent cette réticence :
Manque de confiance : De nombreuses travailleuses du sexe ne font pas confiance aux forces de l’ordre. Les cas où la police n’a pas agi ou où des informations sensibles ont été mal gérées ont laissé des traces durables.
Criminalisation indirecte : Bien que la prostitution soit dépénalisée, certaines pratiques, comme le travail des sans-papiers ou la présence dans des lieux non conformes, exposent encore les TDS à des sanctions. Puis le fisc aussi : « En ce monde, rien n'est certain, à part la mort et les impôts... »
Stigmatisation persistante : Les travailleuses du sexe rapportent souvent des comportements stigmatisants ou condescendants de la part des forces de l’ordre, ce qui les dissuade de demander de l’aide.
Résultats insuffisants : Même lorsque des signalements sont faits, les interventions policières sont perçues comme lentes ou inefficaces. Cela laisse les TDS exposées à des représailles sans résolution durable des problèmes.
Ces obstacles, bien réels, se traduisent parfois par des situations tragiques, comme en témoigne cette histoire rapportée par un avocat :
Une femme, victime de son compagnon violent et proxénète, a été contrainte de se prostituer pour lui pendant des années, lui remettait ses revenus en espèces. Elle vivait grâce à son chômage, que son compagnon exploitait aussi indirectement. Un jour, après des années d’abus, elle trouva le courage de le fuir et de porter plainte contre lui pour proxénétisme.
Mais prouver le proxénétisme s’est avéré difficile. N’ayant jamais gardé de trace bancaire de l’argent qu’elle lui versait, sa parole ne suffisait pas. Pire encore, son ex-compagnon a transmis à l’ONEM des captures d’écran de ses annonces sur Quartier-Rouge, les téléphones liés à son activité, et une copie de sa déposition de police. Ce qu’elle avait confié aux forces de l’ordre pour l'accuser a été utilisé contre elle.
L’ONEM l’a condamnée à rembourser près de 40 000 € pour fraude aux allocations, la considérant comme une travailleuse indépendante non déclarée. Accablée par cette dette colossale et sans autre option, elle n’a eu d’autre choix que de retourner à la prostitution pour rembourser, enfermée dans un cercle vicieux d’exploitation et de précarité.
Cette histoire montre à quel point le système, au lieu de protéger les victimes, peut parfois les plonger dans une détresse encore plus grande. Pour beaucoup, ces expériences renforcent l’idée qu’il vaut mieux se débrouiller seule que risquer de faire appel à des autorités qui pourraient se retourner contre elles.
Propositions concrètes pour une vraie avancée
Pour réparer les erreurs de cette réforme, voici quelques pistes :
Création de structures adaptées : Accélérer la mise en place d’Eros Centers sécurisés et réglementés.
Statut pour les sans-papiers : Mettre en place des mécanismes pour leur permettre de travailler légalement.
Encadrement fiscal et social : Aider dans les démarches administratives pour les TDS indépendantes et créer un statut juridique spécifique.
Transparence des associations : Imposer des audits pour garantir une utilisation efficace des fonds publics.
Renforcement des moyens de contrôle : Allouer des ressources à la lutte contre le crime organisé et l’exploitation.
Dialogue et éducation : Sensibiliser les autorités et les citoyens pour réduire la stigmatisation.
Agence de confiance pour les relations avec la police : Créer une structure intermédiaire indépendante qui puisse servir de lien entre les travailleuses du sexe et les forces de l’ordre. Cette agence pourrait garantir la protection de l’anonymat des signalements, fournir une assistance juridique et accompagner les TDS dans leurs démarches, réduisant ainsi la peur de représailles ou de discrimination.
La dépénalisation de la prostitution aurait pu être une véritable avancée. Mais sans un cadre clair, des ressources suffisantes et une volonté politique réelle, elle a échoué à protéger les travailleuses du sexe. Il est encore temps de corriger ces erreurs et de construire un système qui respecte leurs droits et répond à leurs besoins réels. Les travailleuses du sexe méritent un système qui les protège au lieu de les exposer à de nouveaux dangers. Il est temps que la Belgique tienne ses promesses et montre l’exemple d’une réforme réussie